INTOUCHABLES
John Truby a vu le film et nous en parle ici – 3 décembre 2012

intouchablesIntouchables est LE feel good movie de l’année. Quand j’ai entendu parler pour la première fois de cette histoire vraie d’un paraplégique et de son aide soignant, je dois avouer que je n’étais pas très enthousiaste, parce que c’était une situation de départ en apparence assez convenue. Le bouche -à-oreille disait que le film était une réussite grâce au jeu des comédiens et à une subtile mise en scène mais n’est-ce pas le cas de tous les films réussis ? J’avais le pressentiment que la réussite devait apparaître dans le scénario, bien que les histoires vraies sont notoirement connues pour être difficiles à mettre en forme. Une fois plongé dans le film, je commençai à comprendre la principale raison de sa réussite : c’est une comédie Traveling Angel magnifiquement structurée.

La comédie Traveling Angel est l’une des huit formes de comédie que j’évoque dans mon cours consacré à ce genre. Le public l’adore. A vrai dire, je n’en ai jamais vu une échouer au box office. Mary Poppins en est l’exemple le plus connu du cinéma américain, tout comme La folle journée de Ferris Bueller, ou encore Bienvenue Mister Chance. On peut également rencontrer cette forme d’histoires dans les genres du Drame (Le cercle des poètes disparus par exemple), du Western et de la Detective story.
Je ne saurais dire pourquoi, les français sont particulièrement doués pour cette forme, avec des films comme Amélie Poulain, Chocolat ou Bienvenue chez les Ch’tis, pour ne citer que les exemples les plus représentatifs. Les choristes était aussi un bon exemple de comédie de type Traveling angel, immensément populaire.
Intouchables fait mieux qu’aligner seulement les habituels beats de la comédie de type Traveling angel. Il met en œuvre l’une des trois clés pour convaincre la critique comme le grand public : il transcende le genre.

La comédie de type Traveling Angel revêt une forme très précise, avec ses 15 beats bien identifiés. On commence généralement l’histoire en établissant une communauté et une famille, qui se trouve face à un problème. L’ange arrive alors pour solutionner le ou les problèmes de chacun. Remarquez comme cette façon de procéder a pour résultat de diluer les fonctions du personnage principal. L’ange devient le moteur de l’histoire alors que ce sont les autres personnages qui rencontrent des problèmes et doivent changer.

Intouchables twiste le genre d’une première manière en donnant à l’ange, Driss l’aide soignant, sa propre faiblesse psychologique et morale. Plutôt que d’être, comme Mary Poppins, parfait en tout point, Driss est bruyant et pauvre, un menteur et un voleur. Non seulement ces défauts rendent le personnage crédible, mais lui donnent aussi un arc bien identifié qui, par effet miroir, dessine l’arc des autres personnages, en particulier celui de Philippe, le paraplégique.

Pour transcender le genre, les auteurs utilisent cette technique et la combine à une autre technique : faire intervenir des éléments du genre Love Story. Généralement, l’ange règle les problèmes d’une famille avec l’aide d’autres membres de la communauté, au sens large. Résoudre les problèmes de tous ces personnages donne toutes sortes d’intrigues mais les beats peuvent manquer d’intensité émotionnelle. La famille dans Intouchables est un peu dysfonctionnelle mais succombe bel et bien à la ‘Magic Touch’ de Driss. Alors que Philippe reste bien la figure centrale de l’intrigue.
En faisant ce choix, les auteurs ajoutent le pouvoir de la Love story aux forces déjà incontestées de la comédie de type Traveling Angel. Comme dans une love story classique, les auteurs utilisent la technique du « couple mal assorti ». Tandis que Driss est pauvre, bruyant et bouillonnant, Philippe apparaît comme immensément riche, calme et coincé. Cette histoire d’amour entre deux opposés offre de nombreux avantages. D’abord cela permet aux auteurs de générer une opposition entre les deux personnages principaux pendant toute la durée de l’intrigue, même quand ils se mettent à s’apprécier l’un l’autre. Ensuite, cela permet de mettre en place un double renversement dans lequel chaque personnage se développe en découvrant le meilleur de l’autre. Troisièmement, cela donne à l’histoire une incroyable intensité émotionnelle. Enfin, cela crée une connexion parfaite avec le thème central de l’histoire, puisque l’ange enseigne au passage à tous les coincés du monde comment prendre la vie avec légèreté et style.

Intouchables apporte un enseignement précieux aux auteurs d’histoires vraies. L’histoire vraie est un genre particulièrement difficile à écrire principalement parce que les évènements de la vie réelle ont rarement une forme dramatique naturelle. La plupart des auteurs tentent de résoudre ce problème en rajoutant artificiellement aux évènements réels des éléments mélodramatiques. Ils ne réalisent pas que le problème ne vient pas des évènements en eux-mêmes mais de la séquence des évènements. C’est la raison pour laquelle les meilleurs auteurs d’histoires vraies font généralement intervenir un autre genre, comme le Thriller ou l’enquête, pour davantage structurer les évènements de la vie réelle.

Je suis assez convaincu que la plupart des évènements évoqués dans Intouchables ont vraiment eu lieu. Mais lorsque vous identifiez et connaissez bien les beats du genre Traveling Angel, vous pouvez voir immédiatement comment ce genre unique et hautement chorégraphié a pu donner à l’histoire vraie de Philippe une forme avec un attrait unique et universel.

© John Truby – Décembre 2012
Traduction de Muriel Levet